Jacques Higelin qui était l’un des derniers poètes funambules chantait habilement : « Je vis pas ma vie, je la rêve ! »
Si les rêves font partie de la vie, avoir des rêves c’est autre chose. C’est avoir un projet, ce quelque chose qu’on aimerait avoir accompli pour pouvoir dire au soir de sa vie , voilà, « j’ai réussi ma vie » ou en tout cas, je serais content d’avoir essayé ça ou ça…
À quatorze ans, Victor Hugo écrivit : « Je veux être Chateaubriand ou rien ». Tout le monde sait ça.
Formidable réussite qui nous renvoie vite cependant à notre propre médiocrité. On ne peut tous devenir Victor Hugo. Il faut avoir le talent, la chance, le courage et l’ambition de ses rêves.
Ou alors faut-il se contenter de petits rêves, « réalisables », « à sa hauteur »… cultiver son petit jardin… Hum…
Pas facile d’avoir des rêves dans un monde qui s’effondre
Car enfin, sans être collapsologue officiel, il n’est pas très aisé de voir un avenir radieux. Si la catastrophe n’est pas inéluctable, il est possible que les connards réactionnaires et violents qui pullulent ne vont pas améliorer l’ambiance surtout si on leur laisse prendre le pouvoir.
Avoir des rêves pour nombre de terriens, ce pourrait-être juste ne pas voir son enfant mourir de faim ou espérer que sa fille pourra aller à l’école. Avoir des rêves ce serait juste espérer tenir.
La culpabilisation sous-jacente
« Ne te plains pas de ton sort ! C’est pire ailleurs ! Tu rêves de prendre ta retraite à 60 piges alors qu’ailleurs c’est déjà 67 ? Espèce d’inconscient ! »
Il faudrait faire des sacrifices, tenir, pour qui, pour quoi ?
Un rêve de justice et de solidarité
On ne peut imaginer alors des rêves pour soi tout seul qui ne friseraient l’égoïsme. C’est à dire, qu’une vie réussie c’est une vie engagée d’une manière ou d’une autre, une vie solidaire, une vie « au service » des autres dans un esprit de fraternité. Et qu’il ne s’agisse pas juste de mourir une patrie ou un drapeau si cette patrie ne défend pas les droits des personnes…
S’autoriser à avoir des rêves même sans encouragements
Si j’ai été heureux de faire dans ma vie pas mal de choses intéressantes et justement « engagées au service d’autrui », les métiers que j’ai exercés non seulement n’étaient pas forcément « mon rêve » mais je n’y avais même pas pensé jeune homme.
Jamais pensé devenir formateur par exemple ou encore moins « inspecteur ». Et si j’ai fait mon travail le plus honnêtement possible, je n’oserais prétendre m’y être épanoui. Je n’ai jamais eu d’ambition, je n’aime pas le pouvoir surtout lorsqu’il s’exerce sur des personnes plutôt que permettre une transformation positive… Je ne peux donc aucunement dire avoir accompli un quelconque « rêve professionnel ».
Dans une chanson, je dis que j’aurais rêvé devenir chauffeur de bus rural. Et c’est pas faux.
Quand l’Institution m’a délivré des « décorations » censées marquer ou féliciter mon parcours professionnel, j’en fus bien embarrassé… tout en m’amusant de voir une collègue recevoir ses décorations comme si elle avait été au festival de Cannes…
J’ai commencé par renoncer
Il est inutile de pleurnicher, mais à 17 ans, il fallait gagner ma vie. J’ai passé un concours et ce faisant j’ai renoncé à l’aléatoire d’une carrière artistique. On m’avait pourtant fait des propositions explicites. Je serais devenu « comédien apprenti » dans une troupe et je me débrouillais pas si mal.
Mais il fallait être « raisonnable » alors j’ai commencé par différer… puis voulant faire mon métier de fonctionnaire « sérieusement » j’ai fait de mes petits rêves artistiques une sympathique pratique d’amateur, sans grand intérêt ni retombées même si j’ai fait des choses amusantes ici et là et même gagné de l’argent !
Faire sans encouragements ?
Je ne me suis pas mal démerdé, autodidacte, je me suis formé seul. Mais quant à mes velléités artistiques, tout au plus trouvaient-elles un sympathique acquiescement mais jamais on ne vint m’aider à me projeter plus avant.
Du coup, le fameux syndrome de l’imposteur est vite venu frapper à la porte.
Et si effectivement, tout cela n’était pas très intéressant ?
Je me souviendrais toujours d’une prof de lettres qui faisant un lapsus m’avait appelé utilisant le prénom d’un célèbre écrivain… puis elle avait rectifié affichant sa détestation de mon style (il est vrai assez ronflant à l’époque) : « Ah, non… pas André, surtout pas… »
On ne m’empêcha jamais… de rester raisonnable.
Bien plus tard certains furent surpris quand ils découvrirent quelques affichages dans les stations de métro ou des productions sur le net. Un étonnement surtout car ça ne collait pas avec l’image du sage fonctionnaire…
Mais peut-être est-il mieux de ne pas se torturer avec des rêves impossibles ?
Il y a des choses que je sais faire, mais je manque de dextérité, de connaissances dans nombre de domaines.
J’ai des facilités pour écrire, mais pas de talent. C’est ainsi. D’abord parce que les vrais talents sont rares. Un grand nombre d’artistes font des choses convenues qui n’apportent rien. Ce n’est pas méprisable. C’est souvent mieux que la restauration rapide – pas toujours- , c’est pas forcément désagréable, mais on touche rarement les hauteurs de la grande cuisine (si tant est qu’elle existe et ne soit pas juste snob ou écœurante).
Alors parfois, je me dis qu’il peut-être ridicule ou simplement vain, vide de sens, de perdre son temps à écrire des romans qui ne seront jamais de grand intérêt.
Peut-être aujourd’hui, si j’avais dix-sept ans, je m’essaierais au journalisme ?
Renoncer encore ?
J’ai appris à tourner la page de mon ancien métier. Je ne m’exprimerai plus à propos de l’école. Sujet trop conflictuel, où je me suis trop usé…
Mais il m’arrive souvent de douter et de me demander si je ne serais pas plus heureux en lâchant totalement la bride… en écrivant juste dans mon coin quand « ça viendrait » et en chantant juste dans le cercle étroit de la maison…
Après, j’aurais peur que le manque d’exercice intellectuel, comme le manque d’exercice physique, ne m’achève rapidement…
Mais ai-je encore des rêves ?
Au moment où l’âge commence à faire crisser les os, où la fatigue se fait sentir, est-ce que j’ai vraiment des rêves ?
Car c’est curieux, j’ai envie d’écrire, j’aime ça, mais je ne pense pas que mon travail pourrait intéresser un éditeur. J’écris tous les jours, mais je ne veux pas me ruiner la santé pour ça. Ni faire la pute pour ça.
Il m’amuserait un jour, de chanter mes chansons « dans des salles » mais en même temps je vois bien mes limites ne serait-ce que dans le fait que personne ne me le suggère. Je ne suis pas musicien et je chante à peine juste !
Parfois j’ai peur de ne plus rien attendre d’un peu construit, d’un peu « grand »pour ne pas dire « ambitieux »… j’ai beaucoup de difficultés à m’imaginer même dans cinq ans et je suis souvent plus préoccupé de « ranger mes affaires » pour laisser place propre comme si l’heure de la fin allait bientôt sonner.
Bien sûr, il reste des séquelles du confinement, d’une succession de ruptures, l’absence de racines mais c’est vrai, j’ai du mal à me projeter.
La tentation de Venise ou celle de l’autolyse ?
Si je faisais un pas de côté je dirais qu’il y a bien sûr l’ambition d’un « nouveau départ » et tout le risque d’une part de l’énergie nécessaire et d’autre part de ne pas savoir « mieux faire ailleurs » …
La tentation de l’autolyse, je la diffère cependant au moment où mes capacités risqueraient de me rendre dépendant. Plutôt crever que finir en Ehpad ou à l’hôpital ! J’espère pouvoir choisir ma mort. Drôle de projet mais très clair !
Essayer d’être soi ?
Est-ce que ça peut être un but dans la vie de se réaliser en étant soi même, c’est à dire en s’affirmant sans s’opposer , en faisant les choses que l’on aime avec qui l’on veut, là où le veut… en partageant, en donnant, en étant présent pour les quelques personnes pour lesquelles j’éprouve de l’attachement.
Ce n’est pas toujours si simple. Je n’ai heureusement pas peur de la solitude, mais il m’arrive encore d’accepter des invitations idiotes ou de me retrouver dans des lieux ou avec des personnes qui m’emmerdent. La bêtise ça va un temps. Les convenances ne sont plus de mise : je ne vais plus aux mariages (je suis contre ) ni aux enterrements (je suis contre la mort aussi !). Ni à aucune sorte de messe ou de pince fesses. Je préfère la joie d’une table avec des amis choisis, une rencontre surprise…
Mais essayer d’être soi, est-ce que ça peut-être un rêve sans réalisation ? Sans les autres du coup… – et les autres, on ne sait pas toujours ce que ça va donner-.
Essayer d’être soi, c’est aussi oser inventer son propre univers. Oser « sa différence », non pour être différent mais pour rester libre et essayer, et inventer, essayer d’être créatif…
Des objectifs qui n’emprisonnent pas
Alors, tenter d’avoir des objectifs, comme des projets ouverts mais pas enfermés. C’est à dire, redonner sa place à l’envie et s’il faut de la régularité à certains projets comme l’écriture, laisser la création ou l’inspiration s’exprimer, laisser venir et voir si la mayonnaise prend.
Oser dans l’incertitude.
Si ça se trouve je vais me casser la gueule dans l’escalier.
Et le nouveau roman n’est pas du tout terminé !
À bientôt ? Peut-être !
PS : merci aux très gentils retours pour le « concert à la maison « d’hier soir…
et vous du coup , avez-vous des rêves ?