Demandez le programme !

Catégorisé comme infos du site, journal extime
à l'étang les nénufars

Toute ma vie professionnelle a été structurée autour de programmes, de projets et de programmation. C’était encore plus marqué ces quinze dernières années. Quand j’ai cessé de travailler pour la patrie, au lieu d’alléger la barque, devenu pensais-je, maitre de mon temps, j’ai réussi … à me placer en situation de « burn-out »…

Aujourd’hui, singulièrement, je commence juste à « me projeter » entre créations, vie quotidienne, relations…

Le piège du confinement

C’était il y a si longtemps… nous nous écrivions des autorisations pour… sortir de chez nous.

J’ai terminé mon activité professionnelle dans cette ambiance étrange de l’épidémie. Cela s’est poursuivi ensuite. Ce qui est surprenant, c’est que tout cela est à la fois présent comme un ressenti douloureux, mais parait si loin… d’autres menaces étant venues se substituer (provisoirement ? ) à celles de l’épidémie.

Demander le programme ?

Le plus terrible, c’est qu’au moment où je prenais ma retraite, l’épidémie avec ces différentes étapes du confinement, venait poser une sorte de couvercle sur mes aspirations à la liberté et obérait en plus ma capacité à me projeter à un moment de transition après une carrière très prenante où les horaires étaient plus que flexibles…

Partir de plus en pleine crise, laissait un goût d’inachevé, presque de culpabilité alors que le système m’avait bien essoré et me rangerait vite aux oubliettes…

Alors, pour ne pas laisser croire que j’abusais, j’ai surchargé la barque de projets, me laissant juste le temps des sorties minutées…

Le poids des projets

Influencée – avec retard – par le privé, l’Éducation nationale où je travaillais, s’est bardée de projets, d’objectifs, d’indicateurs, de tableaux de bord. L’évaluationite est venue tout contaminer. Jusqu’à pourrir l’ambiance, jusqu’à pourrir la vie des gens et servir de justificatif aux pires manœuvres…

Dans mes dernières fonctions, le travail consistait à vivre en tension entre des contraintes fixées par des projets, un cadre national, un agenda local mouvant et des urgences engendrées par la crise… Je raconterai mieux un jour cette folie, mais finalement, je me suis trouvé comme « conditionné » par cette mise en tension permanente… une sorte de mauvaise drogue faite de stress…

Car oui, avoir des objectifs c’est bien, mais point trop n’en faut et chaque acteur doit pouvoir ajuster son tempo en fonction des besoins, de la réalité, de l’utilité…

Le poids de l’agenda, les listes, les tableaux

On le regardait tous les jours avec la secrétaire. J’ai encore un agenda numérique, des choses que je ne veux pas, ne dois pas oublier… mais je suis étonnamment revenu au papier.

Un agenda, des cahiers, des feuillets, des listes, des notes et même un tableau dans la cuisine. J’ai encore fait un de ces trucs en couleur… un « bullet-journal » !

J’ai gardé des séquelles ! Car j’ai encore beaucoup d’outils de gestion du temps en usage…

Je commence tout juste à oublier le tempo scolaire, à ne pas culpabiliser si je loupe une échéance sans importance… mais je surveille encore chaque jour mon compte en banque ou ma dépense en électricité grâce à des applications numériques…

Du jour à la semaine, de la semaine au mois…

Il y a des habitudes… des nécessités. C’est mieux de faire la vaisselle chaque jour, indispensable de sortir le chien… mais peu à peu, je me rends compte que je deviens plus efficace à la fois en ayant quelques repères ou rituels y compris de création… mais en me laissant guider par « la couleur » ou « l’inspiration »…

Trop cadrer assèche : par exemple, cette semaine je me suis amusé quelques jours avec l’exercice des poèmes automatiques. Mais trois jours auraient suffi pour la démonstration. Après j’ai été au bord de la contrainte…

Vous me direz que chaque jour je me suis promis d’écrire dans ce journal, de façon plus ou moins longue… mais là, je suis à la fois dans « le jogging d’écriture » comme on le pratique dans certaines écoles , l’aération au sens d’un travail d’écriture qui me sorte du roman et le besoin de réfléchir à voix haute…

Peu à peu, j’en viens plutôt à réguler les choses chaque mois, tant pour les choses courantes de la maison que les projets…

Une remarque amusante que je me fais à moi même : l’un des héros de la pièce « La croisée des chemins » est obsédé par l’idée de tout programmer … obsession partagée par l’héroïne du roman que j’écris, qui sans tout trahir est une organisatrice hors pair, qui programme absolument tout et organise tout de sa vie comme celle de son mari et de ses enfants dans le moindre détail… jusqu’au risque de..

Ordre et désordre

Au fond, il y a trois axes qui régissent « mon organisation ».

Le dialogue entre « ordre et désordre » :

– c’est agir pour ne pas laisser les choses se dégrader, se salir au point de créer un poids au risque de rendre l’environnement désagréable… Chacun a son seuil de tolérance là dessus ! Et Galou le chien trouve très amusant de marquer son empreinte sur le carrelage fraichement lavé (parfum eucalyptus et savon noir s’il vous plait ! )

Mais c’est déjà servir le projet esthétique que d’avoir une belle maison accueillante ou un jardin agréable à vivre.

C’est la fonction d’entretien.

Je fais (un peu) d’activité physique pour ça. Je contrôle et programme mon alimentation pour ça…

Lorsque je suis fatigué, je note ma propension à semer un désordre accru derrière moi…

Alors je m’auto-morigène et je me surveille.

C’est une sorte de ligne de conduite, c’est le « tiens-toi droit ! » que chantait Anne Sylvestre !

« Tiens toi droit » Anne Sylvestre

Le jeu des habitudes

Les bonnes, – le sommeil, le bien manger, quelques horaires en guise de repère- et les moins bonnes qu’il faut évacuer étape par étape en les remplaçant par des actes autrement plus pertinents ou gratifiants… L’abandon de Twitter est en ce sens une réussite. La limitation en temps de certaines applications numériques etc.

Dans ce jeu des habitudes, il faut pouvoir en bousculer certaines, pour ressentir ce que « ça fait » comme par exemple, « prendre le chemin de la promenade à l’envers ».

Une habitude ne doit ni m’empêcher de ressentir, de me laisser guider par mes émotions ou mes intuitions, ni me couper de mes valeurs ni des autres.

Je préfère être mu par l’envie que par « l’abonnement »…

J’ai encore des leviers sur lesquels agir…

Les créations et les projets liés

Je note un paradoxe entre le roman et les autres créations :

Le roman a besoin d’un espace fixe et régulier pour avancer. En même temps, je ne m’impose plus de nombre de pages à écrire par jour . Je m’accorde le droit de remonter, remanier en arrière s’il le faut, redescendre le fil du courant, revenir… Le roman c’est comme l’amour, il faut de l’attention régulière et quotidienne, de la fidélité pour que ça développe et prospère…

Je ne saurais inventer des poèmes ou des chansons à heure fixe même si pour enregistrer des chansons, il faut prévoir des « sessions » …

En réalité, là aussi je dirais fonctionner à la fois dans l’alternance entre habitudes, exercices, plages régulières et longues et des moments avec des couleurs… et donc certaines périodes peuvent être plus ou moins colorées…

Déculpabiliser

Par le passé je me suis beaucoup -essentiellement- occupé des autres et même des autres en dehors de la sphère familiale. Je fais encore un peu de mentorat ou de « conseil » mais on dira que c’est librement consenti sans peser.

Je peux donner, épauler etc. mais je dois aussi ne pas bouffer mon énergie et je reste encore encombré de détails.

« Bien faire ce que dois et avec cœur », n’a pas besoin de culpabilisation. On entend tellement de discours sur les retraités qu’on finirait presque par s’excuser de profiter d’un salaire différé… Ah, oui, je n’ai même pas 64 ans ! Figurez-vous qu’on m’en a fait le reproche ! J’en vois qui seraient prêts à me renvoyer au turbin faisant fi du fait que je suis salarié depuis l’âge de 17 ans et quand même plus très frais !

Je ne prétends pas du tout être indispensable. Pour autant, il n’y a pas d’indignité à ce que je puisse m’exprimer librement et si cela peut intéresser, questionner, amuser la passante ou le passant… au moins, je veille comme ligne de conduite à ne pas faire de mal…

Se projeter ?

Je l’avoue, je ne m’étais pas spécialement projeté dans cette nouvelle étape de la vie. Et je vous épargne le volet plus personnel.

Il y a le corps qui entre en contradiction avec la liste de tout ce que je voudrais pouvoir faire. Il existe encore des contraintes d’espace, de moyens matériels… dans toute ma vie je n’ai jamais eu d’ambitions au sens réducteur du terme. Par exemple, je n’ai jamais visé une promotion pour elle-même mais pour ce qu’elle pouvait me permettre de réaliser…

J’aime inventer des chansons, mais le pas est très loin avec l’envie de monter sur une scène. En revanche, si j’arrivais à intéresser quelques personnes par exemple avec deux ou trois textes poétiques ou un roman, j’en tirerais non pas fierté – je ne connais pas la fierté pour moi même- , mais un certain contentement absent de tout orgueil.

Car au fond, si j’ai un projet c’est de tenter d’habiter ma vie en osant être moi même (enfin). C’est à dire construire une relation librement choisie avec autrui, sans vassalité ni ascendance, mais plutôt dans l’échange de science et de culture et dans la fraternité qui nous aide à aller plus loin et combattre le cancer du ressentiment !

Voilà ! c’est tout pour aujourd’hui !

PS : le programme de la semaine prochaine ? Peut-être repositionner des chansons pour les partager avec vous… et pour le journal, selon la couleur du ciel !

lectrice

Par Vincent BRETON

Vincent Breton a travaillé dans l'enseignement. Auteur de fiction, de poésie ou de chansons, il anime le site Calembredaine.com qui propose un journal extime quotidien et un partage de textes de fiction, poèmes et chansons.

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