un poème de la rue des Pommiers
Le cheminot
S’est endormi à la table du café
Le formica glisse sous mon doigt
Persiste l’odeur d’un tabac froid
Un tabac des années cinquante
Un tabac de l’au-delà
Proscrit par la Loi
Interdit par la Foi
Ça fait déjà un bail, ma petite dame
Aujourd’hui le train est au musée
Cadenassé
Et moi au grand café,
Tandis que la petite
Est à l’école
Moi, je la cajole!
Quand elle revient, la petite
De son école
L’âne au jardin s’est approché du chien
Il lui donna un étrange baiser
Que peut dire un âne sage au jeune chien ?
Déjà, la nuit grésille dans ma tourmente
J’entends le train rouler dans la vallée
Qui remonte le cours du torrent froid
Tu es d’ici toi, non, de là bas ?
Tu as un bien drôle d’accent
Ton chien est drôle,
Allez,
Je marche devant !
Je suis cheminot sans mot ni train
Je marche un peu moins sûrement
Avant, il y avait un garde barrière
Tu ne peux pas comprendre
Maintenant c’est des ordinateurs
Tu as vu l’âne,
Il frotte son nez au museau du chien
Ils sont amis ces deux là on dirait bien
Nous on est des petites gens,
On va au café, les politiciens n’ont rien compris
Avant, j’étais au parti, mais plus maintenant
Tu sais, le village a beaucoup perdu
Avant, on était plus de sept cents
Qui peut croire qu’on était plus de sept-cents ?
Ton chien, retiens-le un peu avant le croisement
On ne sait jamais
Il est beau jeune et vigoureux
Comme la petite
Je l’ai oubliée à l’école
Figure toi ce matin
Je me suis endormi au café
Alors, ma fille est venue et m’a grondé
Je suis plus bon à rien
J’ai vieillis, j’ai oublié
Tu as un beau chien
Avant il y avait du monde
Sur la digue, devant le torrent, même en soirée
Mais là, je dois rentrer,
Elle va, encore me gronder
Me saouler !

Ce poème a été publié dans la série « Rue des pommiers ». Cette série de textes a été elle même écrite de 2011 à 2015 alors que je séjournais dans les Hautes-Alpes. On trouvera quelques allusions aux grands espaces, à la vie animale, à la montagne ou au climat de la région et notamment de la vallée du Buëch ou du Dévoluy. Mais en réalité, il n’y a pas de lien direct entre le lieu de vie et l’écriture. Il s’agit plutôt d’échos à la vie, son quotidien. Si certains reconnaîtront des clés ou des allusions, il serait vain de vouloir tenter une quelconque biographie à l’aide de ces fragments… Ce qui compte c’est l’image, la métaphore… Certains de ces textes ont pu donner lieu à une mise en musique et ont ensuite été donnés comme « chansons ».
