Chaque mois je vais observer le même étang. Une sorte de rituel avec le chien. Cet été la sécheresse y fut rude pour les poissons comme les oiseaux. Je ne sais pas tous les reconnaître. Le chien, lui, en furetant hume certainement la présence des ragondins blancs qui restent discrets. Il faut être attentif. Aujourd’hui il y avait la grande aigrette, même deux…
Les oiseaux se laissent regarder de loin
Les crétins autrefois dézinguaient les aigrettes pour voler leurs plumes et les accrocher aux chapeaux des rombières. Du coup, subsiste une méfiance légitime. Elles restent donc à distance. La grande aigrette semble revenir peu à peu et ne plus être en danger de disparition.
Mais elles n’ont plus beaucoup d’insectes à grignoter, peut-être ici quelques batraciens et des poissons si les pêcheurs en laissent…
Quand tu les découvres, c’est toujours au fond, en retrait, dans ce coin discret, loin du passage des hommes et des chiens. Avec cette grâce quasi muette, on les entend peu. Magique rencontre. Occupées à pécher les pieds dans l’eau. Alors, les découvrir, presque par surprise, c’est toujours la même émotion… incroyables par leur allure, parvenant à la délicatesse… on les dirait droit sorties d’une estampe japonaise.
Des rustres ont gâché la fête…
Certes, j’étais un peu voyeur sur mon bord. Ébahi. Captivé. Je fus surpris comme un coupable admirant à la dérobée une belle se baignant. Mais je ne comprends pas pourquoi ces types viennent là si c’est juste pour pérorer insensibles aux lieux, parlant fort, tapant partout avec leurs cannes en fer – les canes étant dans l’eau – et dégoisant à faire fuir tous les oiseaux des buissons et m’éloigner l’aigrette justement aigrie.
Il existe des squares en ville ou même des avenues qui font bien l’affaire si on veut jacasser. On peut y dire du mal de qui on veut à loisir.
Se promener au bord de l’étang suppose a contrario un peu de pudeur, de respect, de délicatesse. On ne vient pas là comme au supermarché. L’étang c’est plutôt une sorte d’église à ciel ouvert avec ses chapelles et ses pieux visiteurs.
Ça n’a pas manqué, l’un a décroché son téléphone mobile pour hurler dedans à sa femme « que oui, il penserait à passer chez son cousin mais qu’il n’y avait pas de réseau et qu’il ne l’entendait pas bien ». Nous si. Merci.
Le chien me regardait affligé et scandalisé. Au moins lui sait. On ne se tient pas comme ça au bord de l’eau. On respecte.
Accessoirement on répond à mon bonjour au lieu de me fixer avec cet air ahuri de buveur de chouchen.
Nota pour ceux qui ne savent pas : le chouchen est une boisson bretonne au miel, un breuvage fermenté et écœurant qui s’offre généralement à une personne si c’est un ennemi ou si on lui veut du mal.
Marcher plus loin, penser à l’aigrette
Pas eu le temps de lui dire au revoir. Légère frustration, mais il fallait s’éloigner de ces types.
Des gens du cru qui tuent là leur ennui avant la pluie.
Penser à l’aigrette, se demander ce qu’elle fait à présent, où elle va dormir ce soir, si le poisson était bon… Enfin tout ce qui fait la vie d’une aigrette peu préoccupée de la réforme des retraites… ou alors pour s’en réjouir : « ça fera moins de vieux à jacasser sur le chemin ».
Ces rencontres récompenses
Je les oublie rarement ces animaux croisés lors des sorties : renarde avec ses petits, chevreuil surpris dans les fourrés derrière la maison, sanglier lourd en été, aveuglé de lumière, oiseaux qui ne me laissent pas toujours le temps de les reconnaître… insectes rares, serpents débusqués sous la pierre…
Les lièvres sont nombreux dans les dunes près de la plage. Ils narguent le chien…
La présence de cette vie animale, multiple, secrète et plus ou moins libre m’a toujours touché. Depuis petit… Je vous raconterai quand j’entendais les chacals dorés la nuit depuis mon lit…
