J’oublie. Le nom des gens que je n’aime pas, de certains lieux. J’oublie des textes que j’ai pu écrire et que je redécouvre étonné. J’oublie où j’ai classé tel ou tel écrit, ce poème, cette chanson, cette photo, cette lettre… Quand les choses s’accumulent, on devient tour à tour archiviste ou archéologue de sa propre vie et la tâche n’est pas facile pour s’y retrouver…
Les malles et les valises c’était déjà compliqué
Cahiers, dossiers, chemises, valises, malles… À force de déménager j’ai laissé pas mal de choses. Mais il en reste !
Il y a des lettres qu’on garde, d’autres qu’on jette. Celles-là, on s’en souviendra bien assez. Il y a ces papiers que l’on a plaisir à retrouver. Des souvenirs. De vieux écrits. Un article, un truc publié dans un journal…
Souvent, je retrouve des pages parfois des feuillets qui se promènent tout seuls et si je ne reconnaissais pas mon écriture ou la signature, je dois dire que je ne me reconnaitrais même pas comme l’auteur de tel texte ou tel poème. C’est amusant lorsque je me dis « pas mal ». Je m’autocongratule. En revanche, il y a des trucs pas terribles mais dont je me souviens bien, y compris du moment où ils ont été écrits. Et je me demande pourquoi ça n’a pas filé à la poubelle !
Non, la vraie question c’est comment retrouver ce texte auquel je pense et que je ne retrouve jamais malgré tous mes mes efforts et la certitude qu’il devait être dans ce dossier !
Reviennent si facilement ceux dont on n’a pas besoin, qu’on ne cherche pas, mais ce texte, ce poème qu’on trouvait intéressant… impossible de savoir où je l’ai fourré… L’énervement peut venir ou de sombres accusations… « C’est toi qui aurais pris...? «
Oui le sujet du verbe avoir c’est bien la deuxième personne du singulier.
Parfois, il faudra attendre qu’il remonte tout seul, comme une écume… C’est étrange, ça remonte, je l’avais pas vu, il était là… Déjà mis de côté, dans une sous chemise ou à part, pour la bonne bouche…
Ah ! J’envie ceux qui tiennent des fichiers, des glossaires, des index…
Avec le numérique c’est pire !
Je suis pourtant un professionnel de la sauvegarde. J’ai un serveur avec deux disques sécurisés, je possède plusieurs sauvegardes dans le cloud : images, chansons, textes, écrits, administration…
J’ai parfois tellement sauvegardé qu’il faut s’y retrouver dans les strates… mener l’enquête. J’ai des documents en plusieurs versions…
Et je ne vous parle pas de la foultitude de photos…
Oui, je sais, des petites applications vous permettent de retrouver vite fait n’importe quel document à partir d’un mot clé.
On fonctionne d’ailleurs de plus en plus par « tags », « marqueurs » et recherche sur le lexique plutôt que par une classification sagement ordonnée… il faut avoir bien pensé à ses titres, ses données…
La classification décimale universelle, on adorait ça dans les années 80 quand on créait des bibliothèques dans les écoles. On s’est beaucoup interrogés et beaucoup perdus.
On ne peut être exhaustif…
Le numérique a plusieurs défauts : on ne sait pas jusqu’à quand il permettra de conserver les données. J’ai ici quelques disquettes d’antan avec des textes et des romans… mais plus rien pour les lire. Le numérique garde tout en mémoire, notamment sur internet et spécialement les choses qu’on préfèrerait oublier et en même temps par effet d’accumulation, évolution des standards et de la quantité des productions… pas toujours aisé de bien conserver et de s’y retrouver… Si les gens savaient ce que le code caché d’un simple fichier .doc (Word) permet de voir… Ils passeraient vite sous Libre Office… Avec le numérique on accumule des pièces qui exigent d’aller fouiller plus avant… ce sont souvent des boites mystère.
La mobilité pour complexifier les choses
J’ai tellement déménagé et exercé dans nombre de lieux si différents depuis petit, qu’il y a aussi des cercles nombreux de personnes et de lieux… Je ne retrouve pas toujours qui est qui. Les gens se vexent un peu s’ils me retrouvent. Entre les écoles où j’ai enseigné, puis celles dont je me suis occupé… rien que les quinze dernières années, j’ai côtoyé plus de 2000 personnes avec lesquelles j’avais des échanges professionnels… Je ne vous parle pas des enfants…
Cela a multiplié aussi les documents… mais j’avoue pour des raisons de confidentialité aussi avoir bazardé l’essentiel de mes documents professionnels.
Je vais devoir m’y coller !
Mais, me disais-je en cherchant le texte d’une chanson dont je n’ai qu’une version papier, il va falloir que je me mette à ce fastidieux travail.
Il y a des textes fort mauvais ou idiots, je n’ai pas envie qu’on les trouve après ma mort et d’encombrer avec ça.
Au passage, rappelons à celles et ceux qui écrivent des journaux intimes, que sauf volonté particulière, il est mieux de s’en débarrasser ! Cela risque d’être pesant ou un poison mortel pour les héritiers, croyez moi !
Une grande partie de nos dernières années doit consister à ranger pour ne pas trop laisser de choses à trier à celles et ceux qui les trouveront. C’est une question de politesse et presque d’honneur.
C’est un vrai boulot auquel je dois me mettre avant d’être trop gâteux ou épuisé pour ça…
Contrairement à ce que certains pensent, si le passé alimente aisément romans ou chansons, je n’aime pas tellement m’y replonger. Je jette beaucoup. C’est l’avenir qui m’intéresse.
Je n’écris pas pour me relire ! (Je devrais, je sais).
Peut-être à la fin, ne garderais-je qu’un seul texte, une chanson, une phrase sur un carnet, en disant, voilà, c’est ça que j’apprécierais que l’on retrouve de moi une fois disparu.
Un seul poème. Qui serait assez chouette et mériterait qu’on s’en souvienne même si on ne se souvient pas de son auteur. Comble de l’orgueil !
En vous parlant je pense à mon « serveur » que je dois absolument trier et à ces jolies boites vertes en carton qui contiennent tellement d’archives à trier et qui me narguent dans l’étagère !
C’est tout pour aujourd’hui !
