Les rencontres du Papotin -quelques réflexions

Catégorisé comme arts et culture, journal extime
les rencontres du papotin

France 2 diffuse et c’est à son honneur, un « talk show », « magazine atypique ». Il propose la rencontre de journalistes « non professionnels » issus de la rédaction du journal « le Papotin » et porteurs de troubles du spectre autistique.

Pour son cinquième numéro, « Les rencontres du Papotin » recevaient Virginie Efira. 3,24 millions de téléspectateurs ont assisté à l’émission ce qui est plutôt un bon score. L’émission reste disponible en rediffusion encore pour un temps.

les rencontres du papotin

Dans cette émission, ce ne sont pas tant les personnes reçues pour leur célébrité qui comptent mais bien sûr ceux qui posent les questions et leurs questions.

La visibilité des atypiques

Nous aimons tellement les étiquettes. Celle d’atypique est aujourd’hui assez à la mode… mais pas sans ambiguïté.

Un ami qu’une personne avait qualifié d’atypique, me confiait : « pour moi, atypique, ça colle par exemple à une maison… mais si on me dit que l’on m’apprécie parce que je suis atypique, je ne prends pas ça pour un compliment… »

Le conformisme est parfois si fort qu’il peut encager l’autre avec des mots. Il peut même y avoir une sorte de snobisme ou d’effet de mode à vouloir s’entourer d’atypiques… ou les rechercher alors qu’il suffit de regarder autour de soi.

De l’exclusion à l’inclusion le long chemin

Il fut un temps où on les rejetait. L’atypique, le handicapé étaient éliminés si jamais ils avaient survécu. Ou bien, on les cachait… Enfin, j’aimerais que cela soit du passé.

Il n’y a pas si longtemps, j’avais rencontré une jeune fille porteuse de trisomie 21. Jusqu’à l’âge de 8 ans, ses parents l’avaient tenue à l’écart. Elle était restée dans leur appartement, sur un tapis. Il fallut de « la chance » pour qu’elle puisse être sauvée de ce destin et apprendre enfin à marcher…

Puis la grande bonté humaine imagina des « établissements ou instituts spécialisés « où l’on retrouvait des personnes avec des problématiques fort diverses… Cette mise à l’écart souvent présentée dans « l’intérêt des personnes concernées » et que l’on voit prolongée encore avec les EHPAD, fut pourtant une forme de progrès autrefois… mais la médicalisation de la différence, l’étiquetage infini des différentes formes de handicap, une terrible façon d’exclure de la vie sociale…

Dans les écoles, on parla ensuite d’intégration. Des classes « spécialisées » furent imaginées à côté des autres. Elles subsistent encore même si elles tendent à évoluer. Longtemps le collège lui-même proposa des « filières » où l’on orientait les élèves en fonction de leurs capacités supposées.

Pour l’anecdote, il fut envisagé brièvement de m’orienter dans une filière courte : je faisais plusieurs têtes que mes copains, elleme croyait plus vieux qu’eux (j’étais plus jeune de deux ans) je semblais inhibé, un peu différent… et donc pas prévu pour « faire des études » selon ma prof principale de cinquième…

Nous sommes aujourd’hui dans le temps de l’inclusion. C’est à dire en gros que chacune ou chacun est censé pouvoir venir « comme elle ou il est » dans la société… mais comme « ça coince » on place à côté des personnes que l’on tente d’inclure, des « auxiliaires » mal payés dont le rôle principal est sur le papier d’aider à l’autonomie et à l’inclusion… mais le plus souvent, de « contenir » pour que « l’atypique » tienne comme il peut dans le système avec ses cases et son conformisme. « On a le programme » disent les professeurs et dans les entreprises, il faut « être rentables« .

On a voulu inclure sans changer le système, sans permettre de faire évoluer les valeurs, se donner les moyens, en continuant de prôner la compétition entre individus. Du coup ça coince, crée de la tension et du rejet…

Mais on a besoin de normes pour se situer, évaluer et progresser !

Toute la difficulté de l’exercice est de permettre à chaque personne de prendre sa place. Il y a chez nombre « d’atypiques » une soif de conformisme c’est à dire de pouvoir prendre leur place dans la société « comme les autres ».

On a besoin de régulation.

Dans l’émission, il y a ce moment où un homme demande à l’invitée s’il peut mettre sa tête sur son épaule. Un autre où l’un des questionneurs est remercié car il s’épanche trop et monopolise la parole. Cet apprentissage ne peut se faire qu’avec des accompagnateurs, des régulateurs…

Bien sûr qu’il y a des règles, un cadre, des attentes, des repères, des lois… La norme rassure et aide à se situer. Il faut juste veiller à ne jamais éliminer mais créer les conditions du progrès pour tous. Y croire.

Le droit à la singularité

Les usages, les habitudes peuvent verrouiller nos échanges. Dans « Les rencontres du Papotin », les journalistes se disent autant qu’ils cherchent à connaître leur invité. Ce qui est formidable c’est qu’ils vont chercher la singularité de l’invité sous les codes, sous les apparences…

Au moment où certains esprits pensent « uniforme », il est bon de rappeler que ce qui compte c’est que chacune ou chacun puisse non seulement être accepté mais ensuite reconnu dans sa singularité.

L’atypique m’autorise à l’être

Devenue aphasique, touchée par l’hémiplégie, les passages de ma mère au restaurant étaient parfois épiques : il y eut ce restaurateur d’un lieu « chic » qui vint placer un paravent histoire de ne pas incommoder la clientèle. Il se pensait sûrement très charitable. Il avait peur que le spectacle d’une personne handicapée n’offense le cadre distingué dans lequel nous étions. Il y eut cette dame débonnaire qui alla chercher une immense serviette pour protéger ses vêtements des taches mais qui sut la laisser à son bonheur de déguster des bons plats. Et là , elle montrait sa joie qu’on rende honneur à sa cuisine même si c’était « sans manières ». Ce qui était amusant, c’est que ma mère ne disposant plus des nuances du langage pouvait tour à tour féliciter le restaurateur d’une formule élogieuse ou oser un « pas terrible » , voire d’un « dégueulasse ». Jeune homme j’étais à la fois pétrifié de trouille, la peur du scandale… et admiratif… elle osait dire tout haut certaines vérités !

Ces « atypiques » qui parviennent à être eux mêmes (souvent ils n’en ont pas le choix) , qui posent avec un naturel déconcertant des questions parfois basiques et dans la foulée hautement philosophiques, viennent nous chercher sous nos apparences.

Au fond, c’était la force du « fou du Roi ». À côté du « bouffon » conscient de son comique, il y avait aussi le fol naturel ou fol naïs. Il pouvait être percutant, provocateur mais bénéficiait d’une certaine « immunité ». Disait tout haut ce que la Cour n’aurait jamais osé.

Ou ces enfants qui visent juste parfois avec des questions directes, sans censure…

L’atypique, le différent, vient me chercher dans ce que je suis, d’égal à égal.

Dans la rue, il y avait l’autre jour un groupe de personnes handicapées. L’une d' »entre elles, un monsieur déjà âgé, vint s’approcher du chien. Ce qui était extraordinaire d’abord, c’était sa capacité à entrer en contact avec l’animal, le caresser. D’habitude le chien peut gronder, craindre les inconnus. Là, pas du tout. Confiance. Et puis l’homme de poser des questions somme toute banales, mais en s’intéressant vraiment au chien. Il montrait de l’attention et s’intéressait à mille détails. Ce faisant, cela m’interrogeait aussi sur ce que je savais de mon propre chien et de ma vie avec lui. Cet homme interrogeait ma relation avec le chien. Ses questions étaient à la fois directes et délicates, justes et intimes, assez personnelles (« Est-ce qu’il dormait avec moi ? Est-ce qu’il était jaloux ? Est-ce que j’avais une femme ? Est-ce qu’elle était jalouse du chien ? » ). La responsable du groupe vint interrompre l’échange de peur que je ne m’offusque d’être ainsi « dérangé ». Mais je ne l’étais pas. La force de cet homme était de nous faire exister dans nos questions et de souligner ce qui compte.

La personne dite atypique vient me chercher dans cette zone grise des conventions, de ce que je fais par volonté ou nécessité de m’inscrire dans ce cadre, elle ne nie pas l’intérêt de ce cadre, mais interroge ma façon de l’habiter.

Oser sa différence

Je dis souvent que l’un de mes objectifs, pour le temps qu’il me reste à vivre, c’est d’oser être moi-même. Pouvoir être soi. S’affirmer sans opposer…

Et cela passe donc par l’expression aussi libre que possible de ma singularité.

Chacun devrait avoir le droit de chercher et d’exprimer sa part atypique. Je dirais même le devoir. Qu’est-ce que j’apporte qu’on n’avait pas déjà entendu ou lu ou vu ?

Une liberté respectueuse d’autrui, avec des valeurs, avec ce besoin de donner sa dignité à autrui pour que ma propre dignité puisse être reconnue.

Une vie réussie, c’est une vie où chacun peut déployer ses ailes. Où chacun puisse non pas être en compétition mais puisse développer son propre talent.

Le talent d’une personne, sa singularité, c’est la petite touche « à part ».

Le talent des journalistes du Papotin c’est de permettre avec plus ou moins de sincérité et de spontanéité, à la personne rencontrée d’exprimer son talent.

Après, bien entendu, un talent réel, c’est un talent qui ne s’oppose pas à l’épanouissement d’autrui, mais au contraire, le libère par effet de contagion… une sorte d’émulation et de jubilation.

Se féliciter mais rester lucide

Car ils sont formidables ces journalistes et ces jeunes du Papotin. Celui qui vint chanter ensuite avec un naturel déconcertant la chanson « La tendresse » visa si juste. Comment ne pas pleurer ?

Sébastien chante la Tendresse

Mais surtout que cette belle et utile case télévisuelle ne devienne pas une excuse, comme une façon d’ouvrir la boite puis de la refermer pour vaquer ensuite à ses occupations…

Je suis impatient du jour, où au journal du soir ou lors d’une émission politique, l’un de ces jeunes viendra interroger un invité au même titre qu’un autre journaliste « ordinaire ». D’ailleurs, on pourrait étendre cela…

Normalement je n’écris pas de billet le dimanche. J’irai en enfer. A bientôt !

danseuse

Par Vincent BRETON

Vincent Breton a travaillé dans l'enseignement. Auteur de fiction, de poésie ou de chansons, il anime le site Calembredaine.com qui propose un journal extime quotidien et un partage de textes de fiction, poèmes et chansons.

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