Mais d’où viens-tu ?

Catégorisé comme journal extime
La Trinité sur Mer

Souvent posée, c’est pour moi la question qui tue. Elle est simple pourtant. « Mais d’où viens-tu ? » , ou formulée autrement parfois, c’est « votre famille est originaire de quelle région ?  » , « vous venez-d’où ?  » … ou moins sympathique et plus directe, « vous n’êtes pas d’ici ? « …

Oui, c’est à la fois une question qui me rappelle que je ne suis pas d’ici, et surtout à laquelle il m’est si difficile de vraiment répondre…

Le patronyme est un faux ami.

— Mais d’où viens-tu ? Suis-je bête, tu viens de Bretagne…

Quand on a un nom de région dans son patronyme, la confusion est vite présente.

C’est vrai que celui qui s’appelait Normand ou Le Normand, idem pour les « bretons » et dérivés, étaient à la base des natifs expatriés, à Paris ou ailleurs et qu’on avait désignés par le nom de la région dont ils venaient.

Lorsque j’ai dans mon passé professionnel choisi la Bretagne comme région d’affectation, certains ont pensé qu’il s’agissait « d’un retour au pays ».

Alors que non, si on y regarde bien, je n’ai qu’un grand-père paternel sur quatre grands-parents originaire de cette région. Et aucun lien connu…

Je suis un parisien !

Après tout, la réponse apportée par l’État civil stipule que citoyen français, je suis né à Paris dans le quinzième arrondissement.

J’y ai même vécu après bien d’autres lieux et je crois que c’est dans le dixième arrondissement de Paris que je suis resté vivre le plus longtemps.

J’ai un certain attachement personnel pour cette ville, j’y ai connu de belles années.

Mais je n’y connais plus grand monde, je n’y ai pas de famille… diffiicle de parler de racines…

Cela fait plusieurs années maintenant que je n’ai pas même mis les pieds dans la capitale.

Le lien ténu aux racines

L’histoire familiale, le fait d’avoir été orphelin assez tôt, ont fait qu’il n’existe plus de lieu fédérateur où ce qui s’entendrait comme « famille » pourrait considérer se regrouper autour des aïeux lesquels ont disparu depuis un bail.

Il y a bien quelque part en Provence, un caveau familial regroupant quelques uns justement de ces disparus de la famille. Mais dans ce village plus personne n’habite, plus de lien, plus de lieu… Et d’ailleurs, on ne saurait dire que la famille qui n’avait rien à voir « originellement » avec ce village charmant aurait été une « famille du pays ».

Brassens chantait « Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part ».

Georges Brassens

A contrario Maxime Le Forestier nous étonna presque en chantant plus tard :

Je suis né quelque part
Je suis né quelque part, laissez-moi ce repère
Ou je perds la mémoire

Mes racines ?

Elles seraient plutôt dans l’attachement à des personnes que j’ai pu aimer ou aime encore… mais cet attachement vient plutôt de l’histoire commune… je veux dire par là que je n’ai pas le sens de la famille au sens classique du terme…

La terre est à tout l’monde !
Suis de c’te race de monde.

C’est Félix Leclerc qui chantait ça

Félix Leclerc

Mais d’où viens tu ?

Je suis aussi une fin de race, je n’aurai pas d’héritier… ouf !

Je viens des 23 maisons où j’ai pu vivre…

Mes racines sont voyageuses, j’ai le pied léger et peu de bagage. Au fond, j’ai des lieux dans le cœur où j’ai vécu, des personnes que j’ai pu rencontrer … mais je n’aurai jamais été que de passage…

Et pas plus ne me suis-je attribué de lieu, je suis « partout chez moi » et « propriétaire nulle part ». C’est aussi ce qui me désigne et me construit. L’expérience et la joie d’avoir bougé mais en contrepartie l’absence de lieu « où revenir » qui fera qu’on ne m’enterrera pas. Je suis du côté des nomades. Des cueilleurs…

Éternel étranger ?

Bon forcément, il y a la chanson terrible de Léonard Cohen.

Un jour penchée à ta fenêtre
Il te dira qu'il veut renaître
Au monde que ta tendresse lui cache
Et sortant de son portefeuille
Un vieil horaire de train il dit
Je t'avais prévenue je suis étranger
Je t'avais prévenue je suis étranger
Graeme Allwright

Je viens aussi des chansons sûrement !

Et il n’est pas impossible que je reprenne la route encore vers un lieu que je ne connais pas, de nouveaux visages…

Mais quand même mine de rien, même dite avec ton accueillant, la question « d’où-viens-tu » souvent répétée lors de mes différents emménagements, était aussi une façon de questionner le pourquoi de ce nomadisme, une façon de souligner que je ne suis pas vraiment d’ici…

Quand on est ainsi « de passage » on se trouve moins légitime à donner son avis ou agir localement comme les autres… alors que sur le papier on est bien citoyen et on paye ses impôts comme les « locaux »…

Quand j’étais gamin en Provence et que nous entrions dans un café, les gars se mettaient à parler en occitan. Exclusion par la langue.

En Bretagne, les locaux, fort pudiques, attendent que le visiteur fasse ses preuves… On m’avait même demandé si pour louer une maison j’étais prêt à faire allégeance à Sainte Anne !

Alors je mesure à quel point pour les vrais étrangers cela doit être difficile…

Mais tu es français !

Le patriote me sortira le drapeau tricolore et me dira que mes racines sont là, en France !

Je me sens pourtant dans l’absolu citoyen du Monde (et tant pis si cela semble naïf) , j’ai le cœur européen et finalement je dirais que ma patrie c’est la langue même si je me sens encore bien maladroit dans cette langue que je ne cesse d’explorer et d’apprendre et que cette langue est vivifiée et enrichie de racines diverses.

Je suis terrien, en ce sens, conscient que les difficultés des humains ne sauraient être contenues par des frontières…

Je sais tout de même un peu d’où je viens

Ce que je sais de mes ancêtres tient dans quelques récits. Une vision de leurs origines sociales. A bien des égards j’ai vu comment la loi du hasard a pu se faire rencontrer mes propres parents (et ce ne fut pas un hasard heureux).

Cent ans en arrière probablement, aurais-je été élevé dans un fond de cour de ferme et j’y serais resté…

Alors mes racines, c’est un peu de l’école, de la promotion sociale, du baccalauréat et des études qui permirent à mes parents de se croiser du côté de la faculté. Les études permirent aussi à mes grands-parents maternels de deux régions différentes de se rencontrer.

L’ascenseur social tomba vite en panne.

Donc mes racines, c’est plutôt l’Histoire, celle de mouvements de populations, si l’on peut dire… Je suis un métis franc-comtois, berrichon, solognot,breton… et en creusant plus loin on doit bien trouver quelque turc ou germanique…

et vous, savez-vous d’où vous venez ?

Je suis surpris : certains ont des racines très ancrées. On s’est mariés entre cousins ou d’autres a contrario ne savent pas dire… et très vite le fil se perd en France et encore plus si un ancêtre est venu « d’ailleurs » parce qu’il ne fallait pas trop en parler !

C’est tout pour ce soir !

Galou sur la plage de Plouhinec

Par Vincent BRETON

Vincent Breton a travaillé dans l'enseignement. Auteur de fiction, de poésie ou de chansons, il anime le site Calembredaine.com qui propose un journal extime quotidien et un partage de textes de fiction, poèmes et chansons.

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